Lettre #4 – De l’art de la vulnérabilité

Le mois dernier, je suis tombée après être remontée sur des skis de fond, plus de 20 ans après en avoir fait pour la dernière fois.

Pour vous donner un peu d’historique, j’ai eu la chance inouïe de grandir dans un petit village de montagne disposant à la fois d’une station de ski alpin ainsi que de pistes de ski de fond. À l’école comme pendant mon temps libre, l’hiver le ski était au centre de nos activités et j’adorais tellement ça que parmi les souvenirs chouettes de mon enfance, il y a mon petit-moi dans sa combinaison jaune poussin qui partait à pied à la station, skis sur l’épaule et qui rentrait ensuite en glissant sur les pentes à travers la forêt, déchaussant tout juste le temps de traverser la route pour rejoindre ma maison.

Cet article a été initialement publié sur ma Newsletter Substack.

Alors dans mes souvenirs, le ski c’était facile, c’était quelque chose que j’adorais et surtout, comme toute bonne enfant que j’étais, dont je n’avais pas du tout peur. Aujourd’hui j’ai 30 ans (ouch, c’est encore un peu étrange à se dire cet âge qui commence par un 3), je vis au Québec depuis 2018 et ici, l’hiver est synonyme de neige, de beaucoup de neige et… de sports d’hiver ! Je n’ai pas encore remis les pieds sur une paire de skis alpin parce que j’ai un peu peur de ne plus savoir en faire, de me blesser et puis aussi, parce que ça coûte un peu cher (ça, ça n’aide pas) mais cet hiver j’avais super envie de chausser des skis de fond pour en refaire parce que dans mes souvenirs, c’était quelque chose que j’aimais énormément faire et surtout, que je savais vraiment bien faire. Alors comme le vélo, ça devrait revenir aisément non ?

Pour Noël mon copain nous avait offert deux nuits dans un petit chalet dans le parc national du Mont Tremblant (un très beau parc national à environ 1h45 de Montréal en voiture, je vous ai mis une photo ci-dessous prise en septembre 2017 lorsque l’on y était venus en vacances avant de venir vivre pour de bon ici !) et alors que l’on pensait aller faire des raquettes ou une randonnée classique dans la forêt je me suis dit “oh, et si on louait des skis de fond ?”. C’est donc exactement ce que l’on a fait… pendant moins d’1h30.

Long story short, je suis tombée 3 fois et me suis fait suffisamment mal pour avoir une migraine affreuse les 2 jours qui ont suivi (ça peut paraître stupide et je me suis effectivement sentie très stupide mais il ne faut pas trop plaisanter avec ça, j’ai d’ailleurs appris par la même occasion que l’on pouvait se faire une commotion cérébrale même avec une chute toute bête, même sans se taper la tête par terre, pour peu que le choc soit un peu fort. J’ai stoppé toute activité et me suis reposée pour que ça ne s’aggrave pas et éviter d’être bloquée pendant deux ou trois semaines) mais surtout j’avais tellement honte et j’avais peur que l’on ait pu me voir et me suis relevée aussi vite que possible “pour faire genre”. Alors qu’en vrai, on s’en fout non ? Si quelqu’un était passé par là et avait eu comme première réaction de se moquer finalement ça aurait été son problème, pas le mien. Pourtant l’image que j’avais de moi-même a été un peu ébréchée (elle n’est pas super haute, j’essaye de travailler dessus) mais ce qui m’importait le plus à ce moment là c’était l’image que je pouvais renvoyer et non pas “mince, comment je me sens, est-ce que ça va et est-ce que je vais continuer”. Je crois que ce qui m’a rendue mal aussi c’est que l’on avait dépensé de l’argent pour cette activité alors que l’on aurait pu faire de la randonnée avec nos propres raquettes sans rien vraiment payer en plus, je traverse une période financière un peu compliquée et ça en plus, ça m’a fait beaucoup m’en vouloir de nous avoir fait dépenser de l’argent pour si peu. Pourtant, ça arrive de ne pas réussir quelque chose, de tomber, d’être moins en forme et tout ça ce n’est vraiment pas si grave, et puis oui c’était un peu d’argent mais pas assez pour que ce soit vraiment une dépense vraiment excessive. Alors pourquoi est-ce que ça a compté à ce point ?

De vous raconter ça c’est vraiment comme si je me mettais vraiment à nue parce que si il y a bien quelque chose que je sais faire mais qui n’est pas très sain c’est bien de tout enfouir et de recouvrir toutes mes petites failles d’une épaisse couche de fierté mélangée à du déni. Mais c’est franchement nul comme manière d’agir car en plus du fait d’être bien trop dure avec moi-même, en même temps est-ce que je n’agis pas comme ça parce que l’on nous incite constamment à le faire ?

Souvent on nous rappelle que l’on ne vit pas dans un monde là pour être gentil avec nous, que la vie est comme ça, qu’elle est dure et qu’il faut s’y faire. Qu’il faut être solide, qu’il faut s’endurcir. On le voit beaucoup ces derniers temps durant tous les débats entourant la réforme des retraites, ce fameux “on n’a pas le choix, on aimerait faire autrement (ah oui, vraiment ?) mais la vie est dure et il faut faire des efforts”. D’abord j’aimerais trouver la première personne qui a décrété que “c’était comme ça, pas le choix il faut serrer les dents” parce que ça me semble tellement insensé d’être à la fois à ce point convaincu et résigné que la vie est dure et qu’il faut s’y plier ! Je ne suis pas bien étonnée qu’on en soit là où l’on en est de manière globale si toutes les personnes qui ont le pouvoir ont à ce point intégré cet état d’esprit. Et à côté de ça, n’est-ce pas un peu une forme de simplicité d’esprit que de ne pas chercher à vouloir faire autrement et à se conformer un peu bêtement à ce principe qu’il faut “bouffer les plus petits pour rester le plus gros” ? Pour être très binaire (mon point de vue sera évidemment orienté par mes opinions politiques), on reproche souvent à la gauche d’être idéaliste tandis que la droite est plus ancrée dans la réalité, plus pragmatique et moins dans l’émotion. À penser qu’à gauche, on pense que le monde est beau, que tout est facile et qu’on peut vivre d’amour et d’eau fraiche. Alors que… non ? S’il y a bien quelque chose que l’on sait quand on est de gauche c’est à quel point notre société est injuste et dure, et que c’est justement pour ces deux raisons qu’il serait incroyable de continuer sur ce modèle et de continuer à creuser des écarts qui font du mal aux bien moins lotis. Et c’est parce que le monde n’est pas évident que peut-être, juste un peu, ça pourrait être chouette de travailler à le rendre plus doux, à laisser un peu de place à la fragilité, à l’incertitude même et enfin à l’imperfection. À notre échelle nous n’avons pas beaucoup de pouvoir pour changer les choses à grande échelle mais s’il y a bien quelque chose que je trouve importante c’est ça, de conserver un peu de notre vulnérabilité et de garder en tête que non, c’est faux, le monde n’a pas à être aussi dur qu’on nous le présente. Bien sûr que tout n’est pas facile, mais est-ce vraiment nécessaire de le rendre encore moins facile juste parce que c’est comme ça et pas autrement ?

 

Tout ça pour dire que j’ai eu vraiment honte de tomber, que je me suis trouvée hyper nulle et que ça m’a rendue triste de ne pas être à la hauteur de ce que j’aimerais être. Pourtant, ce n’est pas bien grave de tomber à skis et au fond ce jugement n’a vraiment pas lieu d’être parce que ça arrive de finalement pas faire exactement comme ce que l’on pensait quelque chose et que la vie c’est ça, d’être en mouvement et de ne pas toujours se conformer parfaitement à un idéal que l’on pourrait avoir en tête, encore plus lorsque l’on se base sur une image de nous-mêmes datant d’il y a 20 ans ! Personne ne viendra vous taper sur les doigts si vous n’avez pas réussi du premier coup ou même du deuxième, troisième ou même encore que vous ne réussissez jamais quelque chose que vous entreprenez. Vous, nous avons le droit d’être vulnérable, c’est comme ça que l’on garde les yeux grands ouverts et que l’on sait apprécier ce qui est devant nous et ce qui est beau, même en sachant que le monde est peu trop dur parfois. Comme le printemps qui va enfin finir par arriver pour deux semaines au Québec avant de se muer en été. (Ça se voit que j’ai hâte à la fin de l’hiver ?)

En ce moment, je regarde…

La dernière vidéo de Jeannot se livre à propos de l’impact qu’a Tiktok sur la lecture à travers les trends Booktok. C’est un super documentaire que je vous recommande vivement d’aller voir dans lequel elle fait intervenir différentes personnes et différents points de vue issus du monde du livre : la booktokeuse Fériel, plusieurs personnes de chez Hachette Romans intervenant à des strates différentes de la Maison d’Édition ainsi que Augustin Trapenard, mon petit chouchou.

Share Les mots de Mouette

Mon dernier livre lu…

Alors le titre est un peu mensonger puisque c’est un livre que j’ai lu l’an dernier donc il commence à dater un peu mais je l’ai prêté à une amie récemment et en ai également un peu parlé sur Instagram alors j’en reparle ici également. Ce livre est mon coup de cœur absolu de 2022 et sans vous faire patienter plus que de raison, il s’agit du livre Open Water de Caleb Azumah Nelson. C’est un livre qui se passe à Londres et qui parle d’amour entre deux jeunes artistes noir : l’un est photographe, l’autre est danseuse et si cela peut sembler assez simple comme base de livre c’est en réalité une merveille de poésie qu’il faut absolument que vous découvriez. Je l’ai lu dans sa version originale donc j’ignore si la traduction française est aussi belle (c’est le genre de livre qui me donne envie de le lire aussi en français juste pour voir !) mais si vous lisez l’anglais, je ne peux que vous encourager à aller découvrir ce livre qui est aussi court qu’il est impactant.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.